vous êtes ici : accueil > Actualités > Finances publiques (DGFIP)

18/07/2018 : Discours de Darmanin sur l’avenir du réseau DGFIP : Citadelle, Vol de nuit, Tour de contrôle, Facebook et NOUS. Bonus article médiapart "Darmanin prépare de vastes réductions d’effectifs à Bercy"

DISCOURS DE DARMANIN Citadelle, Vol de nuit, Tour de contrôle, Facebook et NOUS.

Le long terme, c’est 2022.

Seul le prononcé fait foi… C’est écrit en rouge sur le discours prononcé par Gérald Darmanin, devant un parterre de directeurs et diffusé en direct sur Facebook à l’attention des agents du ministère de l’action et des comptes publics le 11 juillet 2018.

D’abord une figure de style, une affirmation en contre-pieds -pour mieux rassurer l’auditoire ?-, une citation attribuée au « poète de l’action », Antoine de Saint Exupéry... après une courte allusion à Napoléon. « il n’y a pas de citadelles inattaquables, il n’y a que des citadelles mal attaquées » nous assène Gérald Darmanin… « Je vais essayer de ne pas faire un vol de nuit » nous dit le ministre, avant de « fixer un cap » et même « une vision » !

 A propos, êtes-vous bien sûr, M. Darmanin, que la citation soit de St Ex ? Nous non.

Effet de style comme un mouvement de l’avant bras avec gourmette.
Car « Bercy, contrairement à ce qui se répète bêtement, n’est pas une citadelle. Bercy est une tour de contrôle » nous dit ensuite M. Darmanin.

Tour de contrôle, aviation, St. Ex ! Vol de nuit en plein jour.

Nous, nous savons que M. Darmanin c’est M. Darmanin et qu’il n’est, ni St. Ex. ni Vauban.
Mais citer St. Exupéry, forcément, cela doit faire de l’effet. « On ne voit bien qu’avec le cœur », n’est-ce-pas ?
Et un vol de nuit, en effet, nécessite de garder le cap ! (Cf. Wikipedia « primauté de la mission, importance du devoir et responsabilité de la tâche à accomplir jusqu’au sacrifice »). Un sous-entendu qui sera affirmé en fin de discours « l’immobilisme, comme la lâcheté devant l’effort »...

Là où cela devient franchement bizarre, c’est que G. Darmanin nous indique vouloir fixer une « vision ».

Il y a donc dans le cockpit, les voyants. Dans la carlingue, les non-voyants.
Il y a les pilotes, les éclairés voire les illuminés (qui fixent une vision) et les obscurs, à l’ombre parce qu’ils ne veulent (peuvent) pas voir sur les plaques sensibles de leur cerveau, cette vision de claque.

La claque unanime que lui rendra à la fin de son intervention le parterre des directeurs réunis.
Entendons nous bien, par « claque », des applaudissements nourris mais dignes... de ceux dont le ministre saluera le courage d’avoir fermés des services, sous entendu, vous avez été besogneux mais nous avons désormais besoin de votre intelligence.

Quant aux questions de la salle des directeurs au Ministre, elles ne seront pas diffusées aux agents. Les réponses non plus ! Arf ! On reste dans la carlingue.

Il est des exercices de transparence qui trouvent vite leurs limites. Cela devient vite opaque. Il faut garder du mystère.

Que nous annonce le ministre à travers la fixation du CAP et de la VISION ?

D’abord qu’il veut aller vite, très vite.
Le long terme c’est 2022. Comme CAP 2022.
Cap 2022, c’est après la RGPP, la MAP, la déconstruction méthodique de l’État Social.

Déconstruire l’État social, celui de la redistribution et de la juste contribution pour réduire les inégalités, c’est l’objectif affiché depuis 2007 par le Medef et les néo-libéraux avec cette formule devenue fondatrice « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! ». (D.Kessler in Challenges 2007).

Pour les fanatiques de la réduction des dépenses publiques et de la dérégulation de l’économie et des rapports sociaux (au premier rang desquels les normes sociales du code du travail et le statut général des Fonctionnaires), il s’agit d’abandonner des missions publiques « coûteuses » lesquelles, si rentables, seront prises en charge par le privé.

Dans le même temps, comme dit le ministre, « simplifier l’impôt », en abandonnant des milliards de recettes d’ISF, en instaurant la flat-tax sur les dividendes, en transformant le dispendieux CICE en exonération de cotisations sociales, en supprimant la TH comme levier électoraliste et d’assèchement de la dépense publique des collectivités locales, etc.

Le plan de vol a été maintes fois préparé avec force rapports experts et mercenaires pour casser le service public. Il s’agit aussi de préparer l’opinion (Cf. rapports cour des comptes). Quand au terrain atterrissage, ce sera peut être une autre histoire...

Forcément, si les politiques publiques changent de finalité, alors les outils administratifs de leur mise en œuvre et de leur destination doivent changer.
C’est la concentration vs répartition, la contractualisation vs contrôle.

Et c’est à ce titre, malgré notre « rôle essentiel » et notre « efficacité » rappelés par le Ministre, que Macron et son gouvernement veulent accélérer le démantèlement de la Dgfip, dernière administration centrale avec un maillage territorial.

Bref, l’État qui paye les chaises et les infrastructures immobilières, l’État opérationnel et le personnel, c’est basta.
Le service public où on se parle, c’est finit.
Le numérique, les centres de contact, l’accueil sur RdV, les abandons de missions avec plans de départs volontaires sont au programme.

Cela doit aller vite et cela passe par une méthode.

D’ailleurs le glissement sémantique est là dans le discours écrit : le ministre indique « les priorités-les choix- que le gouvernement assigne à ses agents ! »

 

Sauf que nous ne sommes pas des agents du gouvernement ! Nous sommes fonctionnaires de nos administrations et notre statut est régi par les lois et les règlements, pas par le gouvernement !

Vers un « Bercy idéal en 2022 » à marche forcée !

Priorités Second semestre 2018
Pour la DGFIP : Un seul et unique objectif : le prélèvement à la source.
Pour les Douanes : la contrebande de cigarettes
Pour les autres ministères : la contractualisation budgétaire pluriannuelle
Pour la sécurité sociale, l’intégration du RSI

D’ici fin 2019
Modalités d’exercice des missions et périmètre de l’action publique.
G. Darmanin explique qu’il faut passer du binaire « moins d’emplois = fermetures de services » à une réorganisation du process de travail autour des missions conservées.
Cela signifie de nouveaux gains de productivité et des emplois en moins. (missions abandonnées et/ou néo taylorisme).

Forcément, il n’est plus possible de fermer les services qui l’ont été… donc il s’agit sur fond de suppressions d’emplois et de baisse de dotations de continuer à concentrer et réorganiser le travail en découpant en tranche les missions ! C’est la séparation pilotage-l contrôle/procédure. Et pour l’exécution, il faut comprendre une prolétarisation des qualifications !

D’ici 2020
Fin de la séparation ordonnateur – comptable et mise en place d’une compte financier unique pour les collectivités locales. Expérimentation des agences comptables pour les grandes collectivités.

D’ici 2022
Constitution d’une agence unique du recouvrement avec la Douane et l’Urssaf. L’Ursaff n’est pas mentionnée, il est question de la « sphère sociale ».
Le terme d’agence signifie de fait une filiale (démembrement d’une administration d’État) laquelle peut relever de différents statuts, contractualiser embaucher, débaucher... et où la logique de résultat l’emporte sur la logique de moyens. Bref une usine à encaisser.

Caisses sans numéraire : l’objectif annoncé du zéro numéraire avec appel d’offre en 2019 auprès de réseaux collecteurs !
Sont cités La Poste, les buralistes, ou tout autre « réseau » (!). Quand Carrefour Market remplace déjà La Poste !
Ainsi l’argent public, à l’instar du prélèvement à la source, serait confié à des « institutions privées » !

L’argumentaire vaut sont pesant de ferraille : cette manipulation se fera « au plus proche du citoyen » ! Cela signifie des économies sur le transport de fonds et bien sûr, l’absence de coffre nous ouvre les portes, à défaut de celles de la perception, de la Maison de Service Au Public (MSAP), permettant de fermer les services de proximité qui ne l’auraient pas encore été !

Investir dans le datamining pour lutter contre la fraude. Certes, certainement. Avec si possible la diffusion en formation professionnelle de Minority Report et pour les encadrants la lecture obligatoire du livre de Philippe k. Dick.
Économies à prévoir sur les frais de déplacement et surtout, ne pas écouter l’avis des vérificateurs.

Service public de proximité et accueil du public : on est gentil au guichet mais pas toujours compétent.
Voilà ce que dit le ministre.
En plus c’est chronophage. Traduction ? Cela ne rapporte pas assez, donc perte d’argent.
Donc généralisation de l’accueil sur RdV.
C’est un peu comme être obligé.e d’aller chez le concessionnaire ou alors avoir une MSAP pour l’assistance. Il est même question de permanences mobiles.

Revoir l’organisation « front office » « back office ». (Tiens sous l’ère Macron, les anglicismes sont de nouveaux encouragés). Le ministre se garde bien de préciser les pistes...
Cela signifie clairement privilégier pour le front-office les plates-formes de contact, le virtuel afin de redéployer les effectifs en back-office.
Si le numéraire est chronophage, les questions « guichet » le sont aussi. Ça mobilise un agent et ça ne rapporte pas assez !

En back-office, c’est aller vers la concentration des spécialisations et de leurs implantations, y compris remise en cause du découpage et de l’organisation administrative (Drfip/Ddfip) à l’instar des Csrh. Idem en fonction de la mission : impôts des particuliers, des professionnels, services d’appui au réseau pour le SPL, services facturiers SPL, Hypo, etc.). Des usines.

Déconcentration : en omettant la proximité du service public de pleine compétence, qui garantit l’égalité d’accès et de traitement des contribuables et citoyens, le ministre aborde la question de la relégation sociale et spatiale sous l’emprise du jacobinisme et de la métropolisation.
Sauf que les politiques de fermetures de services de l’État menées jusqu’alors sous le « contrôle de Bercy » y ont grandement participé.

L’idée est d’installer des services d’Île-de-France en banlieue ou à la campagne. Ou de la métropole vers le péri-urbain.
En bon gestionnaire, comment ne pas voir là l’opération de culbute consistant à vendre des immeubles en zone de forte pression foncière et spéculative pour financer des restructurations et délocalisations rendues possibles grâce à la remise en cause des droits et garanties d’affectation des agents ?

Cela fait des années que la CGT alerte sur l’absence totale d’études prospectives concernant l’implantation de nos services, d’autant que ce qui prime depuis la mise en place de la politique immobilière de l’État, c’est la densification des m², au risque d’abandonner des zones géographiques entières !

D’ailleurs, rappelant les frais immobiliers et postaux, le ministre indique une « fantastique occasion de rationalisation.
La rationalisation et l’égalité d’accès et de traitement, c’est incompatible.

En 2022, le gouvernement veut donc avoir finalisé la réorganisation du réseau. Et accompagner les agents qui rejoindront les services « déconcentrés de proximité ».

Derrière ces mots il y a un sens : c’est quoi un « service déconcentré de proximité » ? Celle ou celui qui le sait devrait en faire part à ses collègues.
Ça ne veut rien dire.

Les habitants de Châtellerault ont un service déconcentré de proximité : la Direction des Créances Spéciales du Trésor… Pensez-vous qu’ils s’y rendent pour leurs questions fiscales ou payer la cantine ?
Par contre à Peyrolles, aux Pennes-Mirabeau, à Lambesc, à St. Andiol, ils ont un service de proximité !

Comprenons qu’il s’agit en conséquent de faire miroiter à quelques élus locaux des implantations d’emplois et donc de familles…

Ce ne sera pas suffisant pour que les relégués de la République se sentent aller mieux. Car des emplois à supprimer, il y en aura, et on ne comble pas du vide avec du vide.
Et c’est d’ailleurs la conclusion du ministre : si la mission est supprimée, il sera alors question de « plans de départ volontaires ».

Et le ministre de s’approprier la phrase des défenseurs du service public « il est la richesse de ceux qui n’en ont pas ».

En contre-pied des intentions du ministre, la CGT Finances publiques citera aussi le poète de l’action St. Exupery :

« L’avenir, tu n’as point à le prévoir mais à le permettre ».
(Citadelle 1948 )

C’est ce à quoi la CGT travaille.


Face à la violence de l’attaque contre le service public, la DGFIP, son réseau, les droits et garanties des agents, leurs statuts, leurs rémunérations, nous avons à opposer nos revendications.

Alors que la fraude fiscale prive l’action publique de milliards d’euros, Alors que la politique fiscale mise en œuvre favorise les plus riches,
Alors que la collecte de l’argent public est privatisée,
Alors que les contrôles des recettes et dépenses sont abandonnés,
Alors que des missions entières peuvent-être privatisées...

La CGT considère que seule l’action des agents et leur unité fera reculer les fossoyeurs de notre service public.


Darmanin prépare de vastes réductions d’effectifs à Bercy 12 juillet 2018 Par Romaric Godin

Médiapart

Le ministre a annoncé une réorganisation des services de Bercy et des suppressions de postes qu’il n’a pas voulu chiffrer. Derrière la narration, se profile une nouvelle saignée à la Direction générale des finances publiques. 
Le gouvernement tente de déminer la baisse des effectifs dans l’administration des finances publiques. Mercredi 11 juillet, le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a annoncé devant plus de 600 cadres de Bercy une vaste reconfiguration de l’administration, et en particulier de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), sans néanmoins évoquer un objectif de réduction de postes.
Un chiffre avait été dévoilé lundi 9 juillet par le quotidien Les Échos, celui d’un « peu moins de 20 000 postes supprimés » d’ici cinq ans. Une véritable saignée pour la DGFiP, qui compte aujourd’hui 103 000 agents et qui a vu leur nombre reculer de 30 000 en treize ans. L’objectif cité par le quotidien laissait entendre une réduction de 4 000 emplois par an, soit davantage que les départs à la retraite qui s’élèvent à 3 500 par an, et plus de deux fois le rythme moyen de ces dernières années.
Alors que le gouvernement doit faire face à la présentation d’un budget s’annonçant très restrictif et que le président de la République n’est pas parvenu à se débarrasser de son image de « président des riches », cette nouvelle annonce, qui a causé de nombreux remous en interne à Bercy, était malvenue. Gérald Darmanin l’a démentie dès lundi. En réalité, cette information est venue malmener un beau récit qu’il se proposait de mettre en paroles ce mercredi : lancer une réorganisation des missions et des services, puis évaluer les postes que l’on pouvait supprimer.
Le ministre du budget Gérald Darmanin. © Reuters
Ainsi, comme l’a indiqué le ministre, le gouvernement prendrait « les choses dans le bon ordre : d’abord les missions, ensuite les moyens et les effectifs ». Les baisses d’effectifs seraient le fruit d’un gain d’efficacité, une sorte d’issue nécessaire, une fois l’administration rendue meilleure. Le storytelling gouvernemental est bien connu : donner une impression d’efficacité et de pragmatisme. « Ni le rabot généralisé, ni la pyramide des âges d’un service ne tiennent compte de l’évolution des attentes de nos concitoyens », a souligné le ministre pour donner force à cette idée d’une priorité donnée au service avant celle donnée aux coupes budgétaires.
Réorganisation tous azimuts
Aussi le ministre a-t-il insisté sur le redéploiement des services sur les territoires, sur la simplification de la fiscalité ou sur le « saut technologique » de cette administration. Mais ces grandes évolutions demeurent très ciblées vers les baisses d’effectifs. Ainsi, le ministre propose davantage de présence dans les territoires, avec notamment des transferts de personnel de l’Île-de-France vers les régions. Mais en parallèle, ces redéploiements s’accompagneront de la mutualisation de services, avec le développement des maisons de service public ou la création de services au sein des collectivités locales, tandis que la gestion du numéraire sera sous-traitée progressivement à un tiers.
Au bout du compte, cette « présence » risque d’être minime, et pas toujours très lisible. Par exemple, ce tiers qui acceptera les paiements en espèces souvent prisés par les personnes âgées ou fragiles ne sera pas l’interlocuteur fiscal de cette personne. Il faudra aller ailleurs. Il sera utile, du reste, d’observer la réalité de ce redéploiement. Les Échos évoquaient la création d’un « service unique au particulier » par département. Ce qui est sûr, c’est que ce redéploiement territorial semble une occasion évidente de réduire l’emploi.
Gérald Darmanin a également évoqué la suppression de la taxe d’habitation, celle de 25 « petites taxes » ou encore le passage au prélèvement à la source pour justifier des réorganisations, ce qui, là encore, ne peut que sous-entendre des baisses d’effectifs. Tout comme évidemment le « saut technologique », présenté comme une forme de panacée. Ces évolutions seront-elles développées en interne ou en externe ? Le ministre ne le dit pas, mais promet des investissements. Pour autant, l’effet sur l’emploi – et incidemment sur la sécurité des données – n’est pas le même. 
Le ministre a promis d’insister sur l’intelligence artificielle et le traitement de données pour « nous permettre de rendre encore plus efficace le contrôle fiscal ». Ce faisant, il ouvre la porte à ce qui n’a jamais encore été fait : la réduction des effectifs chargés de ce contrôle. « Jusqu’ici, le contrôle fiscal avait toujours été sanctuarisé lors des coupes d’effectifs, mais désormais il n’est plus possible de le faire si on veut encore réduire les postes », explique Nicolas Thirion, secrétaire national CGT Finances publiques.
Cela entre évidemment en très forte contradiction avec la volonté affichée du gouvernement de lutter contre la fraude fiscale, puisqu’une nouvelle loi sur le sujet est devant le Parlement. C’est également en contradiction avec les choix du gouvernement sur le sujet : Gérald Darmanin n’a brisé le verrou de Bercy, c’est-à-dire le monopole du ministère sur le dépôt de plainte, que dans les cas les plus graves, environ un millier. Pour les 15 000 autres cas traités par l’administration, l’exécutif défend encore la priorité donnée à la négociation, sous prétexte que celle-ci permet une meilleure rentabilité fiscale. Soit, mais le choix de l’automatisation de la détection de la fraude, en supposant qu’elle soit plus efficace, ne permettra que d’engorger encore les services chargés de négocier avec les contribuables indélicats. À moins que, par la grâce du « droit à l’erreur », le ministre n’entende pouvoir classer encore davantage de dossiers et couper ainsi davantage dans les effectifs…
Coût social majeur à attendre
Globalement, cette « réorganisation » ressemble à un immense plan social enrobé dans de bonnes intentions, mais partout se dresse le spectre des économies d’échelles et des réductions d’effectif. Du reste, la DGFiP est l’administration qui, de coutume, est celle qui participe le plus aux réductions d’effectif dans la fonction publique. Gérald Darmanin a promis que cette administration ne « connaîtra[it] pas un sort différent des autres administrations de l’État ». Ce qui ne signifie rien en termes d’ampleur des réductions de poste, puisque les conditions de ces réductions de poste vont être créées.
De fait, le ministre a dû brièvement, à la fin de son intervention, reconnaître le coût social de ces mesures : « Il serait illusoire de croire qu’elles ne s’accompagneront pas d’une baisse de l’emploi public. » Il a d’ailleurs ajouté que c’était là un « engagement du président de la République ». Ce dernier compte supprimer 50 000 postes d’ici à 2022. Gérald Darmanin a relancé le fameux plan de « départs volontaires » qu’il avait évoqué en février. Or un tel plan n’a de sens que s’il faut réduire les effectifs au-delà même des départs en retraite, ce qui rend les chiffres avancés par Les Échos en début de semaine particulièrement crédibles. Le gouvernement crée sous des prétextes pleins de bonne volonté les conditions qui lui permettront de réaliser la pire baisse d’effectifs de l’histoire de l’administration fiscale.
Vers une privatisation de certaines missions ?
Nicolas Thirion estime, de son côté, qu’après des années de coupes dans les effectifs, l’administration de la DGFiP est « à l’os ». « Il est tout simplement impossible de réduire les effectifs sans affecter nos missions », explique-t-il. Or, paradoxalement, la DGFiP va hériter les missions de recouvrement de la douane. Comment faire dans ce cas ? Évidemment transférer une grande partie de la gestion de ces missions ailleurs, notamment au secteur privé. Le portrait de la réorganisation territoriale de l’administration fiscale qu’a dressé Gérald Darmanin montre ainsi une volonté de mise en commun de moyens avec d’autres administrations et avec des tiers, comme on l’a vu. Mais le contribuable, surtout le plus fragile, y trouvera-t-il son compte ?

Nicolas Thirion estime que le mouvement a déjà été engagé dans ce sens. Il en veut pour preuve la sous-traitance de la gestion du cadastre, une fonction relevant traditionnellement de la DGFiP, à une société privée. Il s’inquiète particulièrement d’une autre évolution, celle de l’impôt sur le revenu. Pour lui, le prélèvement à la source signifie d’abord une sous-traitance auprès des entreprises de la collecte de l’impôt, ce qui permet une partie des suppressions de poste envisagées. Un retour, selon lui, à une « situation d’Ancien Régime » où les fermiers généraux – collecteurs privés – collectaient l’impôt.
Ces fermiers généraux, certes, se payaient sur l’impôt. Ce n’est pas le cas du prélèvement à la source. Mais très significativement, un tweet du compte « Prélèvement à la source » de la DGFiP insistait ce même 11 juillet sur les atouts de ce système pour les entreprises, qui auront jusqu’à trois mois pour verser les sommes collectées. « Un avantage indéniable pour leur trésorerie à court et moyen terme », affiche le tweet. Autrement dit, les entreprises seront bien « récompensées » par une facilité de trésorerie de leur « travail » de collecte de l’impôt sur le revenu. Du reste, la Cour des comptes a mis en garde contre le danger d’une baisse du recouvrement qui pourrait coûter jusqu’à 2 milliards d’euros.
Progressivement, le gouvernement met en place une vaste privatisation de cette fonction régalienne absolue qu’est la collecte de l’impôt. Et compte sur ce mouvement pour pouvoir frapper encore une fois fortement l’administration fiscale. Gérald Darmanin a annoncé qu’il avancerait ses premiers objectifs en septembre, lors de la présentation du projet de loi de finances 2019, « parce que nous y verrons alors un peu plus clair ». Qui peut croire à une telle fable ? Si le ministre est capable d’évaluer les suppressions de poste en septembre, c’est qu’il l’est déjà aujourd’hui, compte tenu de l’ampleur des réorganisations annoncées et des discussions nécessaires. Avec cette petite phrase qui confirme qu’un objectif sera inscrit dans la loi de finances, il trahit tout le caractère artificiel de son récit : il ne s’agit certes pas de partir de la réorganisation pour constater un éventuel sureffectif, mais bien de placer en premier l’objectif de suppression de postes. Le rabot est utilisé avec un gant de velours, mais c’est bien un rabot.

Article publié le 18 juillet 2018.


Politique de confidentialité. Site réalisé en interne et propulsé par SPIP.