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04/07/2014 : En mémoire de Jacques Loustau

Pour Jacques

Votre présence à tous aujourd’hui et les nombreuses marques de sympathie, les témoignages, l’émotion ressentie en disent long sur ce que fut Jacques pour beaucoup d’entre nous, pour chacun d’entre nous, et ce qu’il continuera de représenter dans notre existence, dans nos vies.

Nous le savons tous ici, Jacques détesterait que nous lui rendions hommage. Il dirait NON, j’en veux pas.
Alors ce n’est pas un hommage. Je vais simplement nous parler de toi, mon ami. Enfin, je vais essayer.

Il revient forcément en chacun de nous des souvenirs, des moments, des séquences, des instants où nous étions avec toi mais aussi quand toi, parce que nous en avions besoin, tu étais avec nous.

Parce que nous avons eu la chance de te connaître, de travailler avec toi, de t’aimer, de partager des moments de vie et bien sûr, camarade, d’avoir milité avec toi dans ton organisation syndicale, ta CGT.

Jacques Loustau

D’abord et peut être avant tout, Jacques, te dire ton courage et ta pudeur.

Le courage de toujours prendre sur toi, celui de ne jamais te plaindre, celui d’être toujours disponible pour les autres, celui de faire face, de ne jamais reculer, celui d’aller au contact quand il fallait aller au contact.
Cela a certainement à voir avec le Hand-Ball , ce sport intensément physique dont tu t ’es servi pour défier ta maladie, mais aussi pour endosser le maillot rouge du syndicalisme, pour organiser la lutte sociale : du Hand au syndicalisme, un sport de combat collectif.
Pour toi Jacques, le refus de jeu, c’était subir et être sanctionné. Et subir, c’était pas possible. Il fallait agir encore et toujours.

Ta pudeur aussi Jacques.
Que nous fallait-il inventer pour que tu nous parles de toi ?
Même à la question « ça va », tu répondais toujours oui très bien ou tu nous parlais de quelqu’un d’autre qui lui n’allait pas bien.
Parfois, tu décidais de nous en dire un peu plus mais pas trop. ..Il y avait forcément un sujet plus intéressant à aborder que de parler de toi... Et on t’obligeait à t’asseoir et puis on partait en cavalant chercher du sucre pour que la machine se remette à fonctionner. Saloperie de diabète.

Ta rigueur intellectuelle Jacques.
Cette rigueur intellectuelle qui te faisait faire abstraction des contraintes de la maladie et de tes propres souffrances pour toujours considérer l’autre à partir de son propre ressenti, pour mieux l’écouter et mieux le comprendre. Tu ne ramenais rien à toi. Tu t’obligeais à saisir le réel à partir des autres, du contexte, de l’environnement et tu cherchais chaque fois à identifier les interactions et à agir sur elle.
Oui Jacques, tu pensais que séparer la théorie de la pratique, c’était une fumisterie. Tu as bien raison. Et tu en faisais une règle de vie.
Fin psychologue et sondeur de l’âme humaine, tu refusais la mécanique des déterminismes pour agir sur le réel et faire confiance à la dynamique et à l’intelligence collective.

Ton engagement révolutionnaire, Jacques.
Jacques tu étais un révolutionnaire et un humaniste.
Jacques Loustau était communiste et il était syndicaliste. Militant au Trésor, puis aux Finances publiques et bien sûr, militant interprofessionnel à la CGT... Jacques ne fut jamais dans un moule ; il avait toujours un côté électron libre, et traçait son chemin. Comme quoi, participer à un collectif ce n’est pas se soumettre mais permettre aussi de se réaliser.
Jacques voulait transformer la société. Pour lui, l’ordre des choses n’était pas immuable et les injustices et les inégalités, la différenciation sociale n’étaient pas la condition nécessaire pour que chacun co-existe avec les autres. Jacques combattait l’ordre établi. C’est ce que nous appelons la lutte des classes.
Toujours vigilant, il était aussi de celles et ceux qui pensent que le pouvoir corrompt, et que le pouvoir absolu corrompt absolument. Cette sentence il l’avait faite sienne. Il n’était pas question de faire le bonheur des gens malgré eux. Dans toute chose il fallait insuffler de la démocratie, de la participation, de la réflexion collective et construire le rapport de force indispensable aux avancées sociales. Partir du particulier pour aller au général. Travailler, militer, convaincre. Consulter les syndiqués, discuter avec les salariés : avoir les pieds sur terre, toujours garder le contact. Jacques, il était tactile.
Face à l’exubérance, Jacques, tu préférais la présence. Devant l’incantation tu préférais la démonstration, et lorsque tu entendais des certitudes , tu choisissais souvent l’interrogation.

Des qualités qui sonnent comme de l’intelligence accompagnée de connaissances que tu savais partager. (Témoignage de Lucien Bagnoli). En effet Jacques, nous partagions ce point de vue : les travailleuses, les travailleurs sont intelligents et nous sommes des travailleurs.
Oui Jacques, nous préférions les convictions aux certitudes.

Ne comptant ni tes heures ni ton temps, Jacques, tu militais au Trésor, à l’Union locale CGT du centre ville, participais à la commission formation de l’Union départementale CGT et à l’accueil sécurité de toutes les initiatives et actions de la CGT des Bouches-du-Rhône.
Intellectuel redoutable, doté de talents de tribun, fin analyste, tu as donné du fil à retordre tant aux patrons dans l’interpro qu’à nos hauts fonctionnaires dont certains doivent encore se souvenir des grands moments de solitude qu’ils connurent, face à un Jacques Loustau intervenant avec son intelligence et ses convictions, dans un raisonnement où la maîtrise de la dialectique ne laissait guère de chance à ses contradicteurs !

Jacques tu voulais être utile.

Crois nous, tu l’étais utile et efficace.

Etre et se sentir utile, c’est assurément une de tes qualités premières et celle qui te faisait avancer.

Etre utile. Cela pouvait parfois te pousser jusqu’à l’épuisement. Alors en langage diplomatique, nous te disions fermement de lever le pied. Tu faisais de toute manière ce que tu voulais. Le rupteur était réglé haut dans les tours.

Passant de la préparation d’un Comité technique ou d’un CHS à une visite de service, réfléchissant intensément à une donnée juridique, tu étais aussi disponible aux aurores pour mener à la réparation le camion de la CGT parce qu’à 10 h 00 on en aurait besoin pour une manifestation, et la nuit suivante, nous collions des affiches pour les élections prud’homales. Un militant complet.
Un militant de la CGT qui a construit, avec ses camarades, la CGT au Trésor, avec Marie-Françoise, Nadine, Christiane, Claude, Cathy, Sylvie, Patricia, Jean-Pierre- Jeanne-bien sûr- et bien d’autres camarades.
Un militant dans les luttes historiques de 1989, de 1995, de 2000, 2003, 2010... et un militant au quotidien. Un bâtisseur de la CGT.

Un militant prévenant qui toujours prenait le temps de s’arrêter, de saluer, de discuter, de demander des nouvelles...
La contrepartie c’était bien sûr un retard systématique aux rendez-vous... même à la cantine. Qu’était devenu Jacques ? Il arrivait, il allait arriver, il serait bientôt là, il va pas tarder... Je l’engueulais. La fois d’après ? C’était pareil.
Je suis obligé ici de mentionner un attribut indissociable de Jacques. En était-il le gardien ou bien est-ce l’inverse ? Son téléphone portable... Une irruption dans sa vie de la science fiction dont il était fan, son arme de Jedi. La plus belle conquête de l’homme dans l’histoire de la technologie pour Jacques. Et celui qui lui permettait de continuer à militer, même pendant la dialyse. Pendant la dialyse, on peut continuer à être utile.

J’ai milité 20 ans avec Jacques, avec celui qui fut mon formateur. C’était mon Guillaume de Baskerville et je fus Adso, comme dans le nom de la Rose. Jacques qui m’accompagnait parfois comme un ange gardien, me disant, « je prends les coups, toi tu continues à avancer ».

Et c’est ce que nous avons fait ensemble, lui qui est longtemps resté le contrôleur le plus mal noté de France, parce que justement, il prenait les coups mais semait aussi l’implantation de la CGT. Un Jacques jamais autant ravi que lorsque nous lui annoncions des adhésions au syndicat, ou encore prenant un air dégagé en sortant de sa sacoche une liasse de bulletins d’adhésion remplis, s’asseyait et là, son visage s’éclairait et son sourire triomphait.
Jacques qui faisait la « grosse voix » dans les couloirs pour troubler la quiétude hiérarchique, Jacques roulant un peu les mécaniques pour impressionner l’adversaire, Jacques heureux de voir une nouvelle génération militer à la CGT.

Jacques et les valeurs de la CGT.
C’était le domaine où l’homme s’affirmait le plus intransigeant : La dignité ce n’était pas négociable, le mépris et la condescendance se combattait, la pitié et la commisération, ce n’était ni la justice ni les droits, le racisme ce n’était pas une opinion, la liberté et l’égalité étaient indissociables.
Je me souviens avec lui aller à la rencontre des agents et expliquer que se raccrocher à la branche pourri de l’extrême-droite était une illusion mortifère, ou saisis par des collègues, prendre le temps d’un débat où le respect et l’écoute permettait de conclure que seul le progrès humain et le progrès social sont les garants du vivre ensemble. Pas de sujet tabou ; toujours la confiance dans le collectif.
Je me souviens d’une visite de service ensemble qui fut un moment intense d’échange. Une dizaine d’agents, 14h00 -18h30 non stop avec des collègues qui étaient heureux de s’entendre, de s’écouter de discuter parce que justement, on ne se parle plus assez au travail.

Je me souviens de nos longues discussions philosophiques, je n’ai pas peur du mot, qui souvent ne se concluaient pas et qui rebondissaient quelques temps après parfois en synthèse, parfois en désaccord, mais toujours en fraternité. Jacques n’était pas pour l’uniformité et percevait les différences comme une richesse et une chance. Tout ce qui nous rassemble.

Jacques et le sens des mots.
Quelle acuité mes amis, quelle exigence ! Je vous le dis c’était formateur mais quelle pression ce pouvait être de soumettre à son exégèse un projet de texte, un compte rendu, une publication. Mais cette rigueur, c’était celle du Jacques politique, pour lequel les mots ont un sens et les mots sont importants. C’était engager l’organisation, et son organisation, la CGT, se devait de donner en lecture du contenu, un raisonnement sans faille et de respecter les salariés : oui, les salariés sont intelligents alors parions sur cette intelligence en nous adressant à eux.. C’était aussi comme cela qu’il pensait la bataille des idées : donner à réfléchir.

Jacques et le temps...
C’est ici sa partie la plus intime, la partie d’échec qu’il jouait en anticipant les coups de cet adversaire impitoyable. Le temps comme l’instant présent à saisir... et le temps comme la vie pleine et entière alors qu’il savait, il savait que son sablier, la vie l’avait voulu ainsi, son sablier était à moitié vide. La partie n’était pas égale.
Jacques se savait en sursis et nous le savions. Je plaisantais avec lui sur son secret médical ; c’était certainement l’un des moins protégé de France. A la question « comment va Jacques » qui nous était régulièrement posée au gré des rencontres, il nous fallait bien répondre quelque chose..

De retour d’un congrès de la CGT, je me souviens de cette halte que nous fîmes avec notre belle équipe à Lourdes- pas de méprise-, Jacques était originaire de Lourdes.
Jacques nous montra les lieux de son enfance, de son adolescence, sa maison, son chemin de l’école, la voie ferrée. Jacques ouvrait un livre que nous ne connaissions pas. Il nous montrait pour la première fois une page de sa vie avant de refermer son journal intime. C’était important pour lui. Pour nous. Il nous disait d’où il vient.

Le temps pour Jacques, ce n’était pas des minutes qui s’égrènent. Je l’ai dit plus haut, il savait le sablier à moitié vide. Le temps pour Jacques c’était comment le remplir et pour en faire quoi.

Pour lui, une part de son temps était volée : c’était ce qu’il appelait d’abord les révisions, les bilans de santé qui étaient programmés. Il y allait à reculons, mais il pouvait s’organiser.
Ensuite ce furent des alertes et des imprévus : ça, cela lui posait problème, il avait quelque chose à finir..
Enfin, ce fut une obligation avec la dialyse et le caisson hyperbare.

Et pendant toute cette période, Jacques n’a eu de cesse de penser et agir pour ce qu’il considérait comme le combat le plus important de sa vie.

Combien de fois nous l’a t-il dit !

Lui qui a lutté toute sa vie pour l’émancipation savait qu’avec sa femme Corinne, il devait tenir pour permettre l’envol de leur chef d’œuvre. Leur déesse. Leur fille Diane.

Il devait attendre qu’elle vole de ses propres ailes et choisisse sa vie.

C’était ce qu’il attendait, c’est ce qu’il voulait finir.

Il l’a fait.

Jacques a été utile.

Notre peine est immense.

04/07/2014


Article publié le 4 juillet 2014.


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